mercredi 17 septembre 2008

LES SAINTS CANONS ET LE CHANT À L’ÉGLISE

Le Nouveau Testament témoigne de ce que la psalmodie constitue un élément très ancien du culte chrétien, qu'il s'agisse des prières privées ou publiques. Nous ignorons cependant l'époque précise durant laquelle l'Église a désigné des chantres pour chanter les hymnes.

L'apôtre Paul écrit: « Récitez entre vous des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels. Chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur» (Eph.V, 19; Col III, 16).

Durant les premiers temps, la psalmodie chrétienne était accomplie par l'assemblée mais l'accroissement des chrétiens a amené l'un des participants à guider le chant, à pré-chanter, en quelque sorte. Dans son Histoire ecclésiastique, Eusèbe de Césarée décrit ainsi cette fonction: « L'un (d'entre eux) chante de manière décente et rythmée; les autres écoutent en silence et chantent ensemble les finales des hymnes» (II, 19).

Les Constitutions apostoliques imposent que « quelqu'un chante les hymnes de David et que le peuple réponde en chantant les finales» (11,57).

Selon l'historien Sozomène, il existait un chœur de chantres: « Ceux qui connaissent, entonnent les psaumes et l'assemblée répond d'une seule voix» (V, 19).

Quoiqu'il en soit, la compétence du chantre est déjà évoquée par Eusèbe: « il chante de manière décente et rythmée ».

La place bien définie que l'Église a assignée aux chantres au cours des célébrations cultuelles s'explique par la double nécessité, d'une part, d'empêcher l'introduction, dans la psalmodie, d'éléments hérétiques (on sait en effet que les chrétiens ont utilisé la psalmodie, même à Constantinople, pour répandre leurs erreurs), et, d'autre part, afin de diriger la psalmodie du peuple, en vertu de leurs compétences particulières en la matière.

La manière avec laquelle les chantres doivent s'acquitter de la psalmodie a été très tôt évoquée par les saints canons de l’Église.

Les canons de notre Église orthodoxe constituent les règles fondamentales sur lesquelles est fondée la vie de l'Église (Christodopoulos, Métropolite de Dimitrias, Mélanges musicologiques, Athènes, s.d. p. 81 (en grec). Par l'autorité qui leur est reconnue, les canons constituent vraiment le gouvernail et la boussole spirituelle qui nous mènent en toute sécurité et sans danger « au doux port de la bienheureuse et sainte échéance» (Pidalion (ou recueil des saints canons), Athènes, 1982, p. VII.).

Rédigés par les Pères théophores, les canons couvrent l'ensemble de la vie de l'Église et visent à l'ordonnance de son accomplissement. Ayant à l'esprit le but de la psalmodie l'Église veille, au moyen des saints canons, au style du chant et au comportement exemplaire des chantres.

Les 26ème, 43ème, et 69ème canons apostoliques (D'aucuns contestent la valeur de ces canons. ceux-ci, de toute évidence, n'étant pas d'origine apostolique. Or, en leur donnant l'appellation «apostolique», l'Église ne veut pas affirmer que ce sont les Apôtres qui les ont rédigées, mais plutôt que leur enseignement est fidèle à celui des Apôtres. En effet, énumérant les règles canoniques le Concile œcuménique «ln Trullo» mentionne les canons reçus «au nom des Apôtres » et confirme leur validité dans le droit canon de l'Église (NdT)) s'intéressent aux mœurs et attitudes des chantres. En tant que membres du bas-clergé, ils sont autorisés à se marier après l'imposition des mains (cheirothesia), dans la mesure où leur future conjointe est orthodoxe et point hérétique: « De ceux qui sont entrés dans le clergé sans s'être mariés nous permettons le mariage aux seuls lecteurs et chantres s'ils le désirent». Le 43ème canon interdit aux chantres les jeux de hasard et autres pratiques déshonorantes comme l'ivrognerie et les blasphèmes, et il leur enjoint de guérir par la psalmodie la musique indécente. Pour le 69ème canon, « si un évêque, un prêtre, un diacre, un sous-diacre, un lecteur ou un chantre ne jeûne pas le saint carême, ou le vendredi ou le mercredi, qu'il soit déposé, à moins qu'une maladie corporelle l'en ait empêché». Comme l'écrit saint Jean Chrysostome, le canon prescrit à tous, clergé et laïcat, de jeûner les jours prévus pour le pardon de leurs fautes. Le jeûne, on le sait, nous est enjoint par le Seigneur lui-même et par ses Apôtres. Pour qu'ils puissent psalmodier dans la pureté, les chantres doivent mettre ce canon en pratique, en luttant contre l'emprise de la chair, surtout durant le grand carême. Seul le père spirituel ou l'évêque peut accorder la dispense en cas d'incapacité ou de maladie.

Par la suite, le 14ème canon du quatrième Concile œcuménique (451) souligne à nouveau l'interdiction aux chantres de se marier avec une hérétique. Ceux d'entre eux qui auraient contracté un mariage mixte et eu des enfants, doivent guider leur épouse et leurs enfants vers l'Église Orthodoxe et les faire baptiser. Si un chantre ne peut se marier qu'avec une orthodoxe et point avec une hérétique, c'est afin de ne pas scandaliser le plérôme de l'Église : « Étant donné que dans certaines provinces permission a été accordée aux lecteurs et aux chantres de se marier, le saint concile a décidé qu'aucun d'entre eux ne doit épouser une hérétique; ceux qui ont eu des enfants après avoir contracté de tels mariages, s’ils ont fait baptiser leurs enfants chez les hérétiques, ils doivent les présenter à la communion de l’Église Catholique ; si ces enfants n’ont pas encore été baptisés ils ne doivent pas les faire baptiser chez les hérétiques ni les donner en mariage à un hérétique, à un juif ou à un païen, sauf si la personne qui doit se marier promet d’embrasser la foi orthodoxe. Si quelqu’un va à l’encontre de cette ordonnance du saint concile, il sera soumis à une peine canonique. »

Le 15ème canon du concile de Laodicée (343·381) attire l'attention sur le fait qu'à l'exception des chantres ordonnés, qui montent à l'ambon et chantent d'après le livre, personne d'autre ne doit chanter à l'église ». Ce canon interdit donc à tous ceux qui ne sont pas chantres de psalmodier à l'église sans bénédiction, à la fois afin de ne pas créer de désordre dans l'église et pour empêcher l'anarchie musicale de la part des laïcs qui n'ont pas de fonction liturgique. En effet, les soi-disant chantres et ceux qui sont ignorants de l'ordonnance cultuelle (ordo, typikon) créent toujours du désordre avec leurs mélodies inconvenantes et déplacées. De nos jours, dans l'usage byzantin, nombreux sont les chantres qui ont été ordonnés (dans le sens où ils ont fait l'objet d'une imposition des mains ou cheiro­thésie) et qui psalmodient avec compétence et autorité. Dans l'usage russe et apparenté, l'introduction des chorales mixtes a pratiquement effacé l'usage de l'imposition des mains.

Ce canon impose en outre de chanter les hymnes « d'après le livre » (littéralement « d'après le parchemin»), c'est-à-dire d'après les recueils ad hoc et reconnus, afin que l'hymnologie de l'Église ne soit pas altérée par des mélodies inconvenantes. Bien que les différents hymnes soient aujour­d'hui publiés dans les recueils, cette règle n'en conserve pas moins toute sa valeur: il convient en effet d'écarter de la psalmodie toute forme de désordre et de bizarrerie. Conformément à la tradition de l'Église, les recueils de chant ne devraient pas être publiés sans bénédiction ni autorisation, afin que le désordre prenne fin et que tout un chacun ne puisse introduire dans le culte des éléments individuels, ce qu'interdit par ailleurs le canon 59 du même concile.

Par son 75ème canon, le Concile œcuménique « in Trullo» (691) prolonge le 15ème canon de Laodicée: « Ceux qui vont dans les églises pour chanter, nous ne voulons pas qu'ils chantent de façon bruyante et désordonnée et forcent la nature en poussant des cris, ni qu'ils utilisent des textes qui ne sont pas les textes convenables et coutumiers à l'église; au contraire, qu'ils présentent avec beaucoup d'attention et de componction leurs psalmodies à Dieu qui voit le secret des cœurs; la sainte parole nous enseigne en effet « que les fils d'Israël doivent être pieux». Le commentateur Zonaras et saint Nicodème l'Hagiorite expliquent que notre psalmodie à l'église est une supplication adressée à Dieu en expiation de nos péchés. Il convient donc que le caractère, le style de la psalmodie s'accordent avec le lieu où elle est entendue. En effet, celui qui implore et prie doit le faire avec humilité et componction. Par le cri, on trahit la témérité et l'irrespect. C'est la raison pour laquelle ce canon appelle les chantres à ne pas crier en forçant la nature. Zonaras et Balsamon insistent sur le fait que les chantres ne doivent ni « crier de manière désordonnée» ni rechercher les éloges par leurs « cris véhéments». Le chantre doit donc éviter les exagérations vocales qui troublent la sérénité de l'église et chassent la paix des cœurs des fidèles. Aristène complète par ces mots: « le cri désordonné du chantre est inadmissible». La tradition du chant liturgique impose dés lors que les chants soient exécutés dans l'ordre et la décence et point de manière irrespectueuse.

Ce canon poursuit en évoquant et en interdisant ce qui est déplacé et inconvenant. Zonaras commente l'expression « choses déplacées» en précisant qu'il s'agit des « chants perçants, des fredonnements plaintifs et de l'ornementation superflue des mélodies qui tourne en chansons théâtrales et déplacées», c'est-à-dire tous les éléments séculiers et affectés, liés à l'opéra et aux fêtes populaires.

Certes, aujourd'hui, ce danger est assez réduit mais la crainte est grande que les chantres ne perdent leur style traditionnel s'ils se mettent à imiter les mélodies étrangères au culte et méprisent le répertoire authentique.

Le canon s'achève en répétant que les chantres doivent présenter avec « beaucoup d'attention et de componction leurs psalmodies à Dieu» qui voit les secrets des cœurs, c'est-à-dire la psalmodie et la prière mentale de notre cœur. La sainte parole du Lévitique enseigne en effet que les fils d'Israël doivent être pieux. Les fils d'Israël, aujourd'hui, ce sont les membres de l'Église.

Malgré la concision de ce qui précède, il est évident que dès les premiers temps, l'Église a tenu à régler et à ordonner les problèmes de la psalmodie, montrant par là la place éminente qu'elle occupe dans sa vie, et soulignant l'importance de la fonction du chantre et la valeur de l'art sacré de la psalmodie qui n'est pas un but en soi, un « art pour l'art », mais « un moyen de notre culte, au caractère mystagogique » (Gr. Stathis, Morphologie et expression du chant byzantin. Athènes, 1980, p. 9 (en grec).). Nous voudrions insister sur la nécessité qu'il y a pour les chantres de bien connaître les canons relatifs à la psalmodie, afin que cette dernière en sorte élevée et que soit renforcé ce trésor de la tradition. Les Pères de l'Église nous commandent « d'avoir toujours à l'esprit ce qui dans la psalmodie est simple et sobre». Que cet appel soit notre guide.

par Père Spyridon ANTONIOU (Scholarion - Grèce)

(traduit du grec par Marcel Pirard-Angistriotis in Le Messager orthodoxe n°104)

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