vendredi 24 août 2012

LE LATIN, LANGUE LITURGIQUE ORTHODOXE ?

Voici reproduit ici - dans son intégrité - un extrait d'un message que l'on peut lire sur un blog catholique traditionaliste.
Ce message ne peut  laisser indifférent à plusieurs titres qui seront exposés après la citation...

« Éminences, Excellences, Messeigneurs,  [...] Jeune cérémoniaire pontifical, j’ai vu avec effarement, à l’heure des débats conciliaires, les responsables de l’Eglise de France mener vers le naufrage le navire dont ils avaient la charge. J’ai ainsi entendu un père provincial jésuite énoncer doctement « Il faut désacraliser l’Eglise ! » (sic !) Et "ils" y sont parvenu à Rome : le concile a supprimé le sens du mystère, le sens du sacré, l’universalité ecclésiale par la disparition du rituel et du latin, la banalisation par la disparition du formalisme éclaté dans une florescence d’initiatives dites novatrices. Il a permis des fractures en autorisant la multiplication des traductions hasardeuses, et surtout, il a introduit le doute légitime en admettant la "liberté religieuse" qui s’oppose par nature au prosélytisme et l’apostolat missionnaire ! Divisée dans ses rites et dans ses langues, l’Eglise n’est plus "une". Quelle force avait-elle lorsque tout chrétien, de New York à Pékin, pouvait assister à la messe avec son missel habituel et en partager le mystère avec une assistance inconnue dont il ne partageait pas même la langue ! Là l’idée de communion avait tout son sens : le partage du sacrifice de tous, entre tous, réunis ensemble par et pour l’Evangile, par delà les différences linguistiques, géographiques et civilisationnelles, unis dans une même foi… Travaillant en Afrique Noire dans les années 80, j’ai noté là avec surprise l’importante proportion des traditionalistes africains. Un de mes amis, alors ministre, m’en expliqua un jour la raison – ce qui aurait laissé rêveur n’importe quel prélat du concile : « Ils sont fous à Rome ! Les gens ici ne comprennent plus rien : avant on avait une langue pour la prière, une langue sacrée qui ne servait pas pour tous les jours, une langue faite pour ne s’adresser qu’à Dieu, et c’était la même langue pour nous tous. Ils ne savent pas, à Rome, que dans ce pays nous comptons quarante ethnies ? Alors quand tu te déplaces de quarante kilomètres un dimanche dans un village voisin, tu ne comprends plus rien à la messe ! Et on ne peut plus prier avec un prêtre de la tribu d’a côté. C’est les fétichistes qui rigolent bien : eux ils gardent la langue des fétiches ! »(sic !) Mais nos pères conciliaires se sont obstiné : il fallait en revenir « aux fondations » de l’Eglise ! L’ennui c’est que lorsqu’on fait table rase, il faut reconstruire dessus : c’est précisément le rôle des fondations que de prévoir d’y asseoir quelque chose ! [...]  »


Ce texte en son entier est particulièrement émouvant parce qu'il exprime le désarroi d'un fidèle et sincère serviteur d'une  Église en perdition.  À de nombreuses reprises il a été question dans ce blog, des périls qu'il y aurait à trop se rapprocher d'un corps malade sans prendre les précautions sanitaires propres à une saine ecclésiologie et une saine théologie, ce n'est donc pas dans ce sens qu'ira le commentaire de ce texte.

Ce qui nous importera ici c'est le problème de la langue liturgique.

Et là il faut bien remettre en question le principe défendu par les représentants d'une Église orthodoxe locale en le confrontant à la réalité du terrain. L'exemple de l'Afrique Noire cité par l'auteur ci-dessus est tout de même incontournable. 
Faut-il traduire non seulement tous les textes sacrés de la tradition chrétienne mais également tous les offices dans les langues du monde entier ?  Si oui alors ne serait-il pas  de l'ordre du péché de laisser des populations entières du globe à l'écart de la Bonne Nouvelle aussi petits soient les groupes qui la composent ? N'y a-t-il pas là une forme d'égoïsme ? Car au nom de quel principe (impérialiste ?) imposerait-on à un peuple la langue d'un autre - dont il est peut-être en outre l’adversaire multiséculaire bien que tout proche voisin ? 

Cependant, comme le suggère l'auteur, "la multiplication des traductions hasardeuses" n'est-elle pas un problème grave ? N'est-il pas légitime de penser qu'il serait préférable de "partager le mystère avec une assistance inconnue dont [on ne partage] pas même la langue ! Là l’idée de communion [a] tout son sens : le partage du sacrifice de tous, entre tous, réunis ensemble par et pour l’Évangile, par delà les différences linguistiques, géographiques et civilisationnelles, unis dans une même foi."
Célébrer dans une langue liturgique, qui n'est plus parlée dans sa forme ancienne et donc appartenant à tous, commune à une région la plus vaste possible, semble bien offrir pas mal de bénéfices du point vue de la mission elle-même paradoxalement. Utiliser une telle langue avec un rituel commun au plus grand nombre (appartenant à un passé recevable par le plus grand nombre également car bien souvent oubliée par le peuple qui pourrait s'en revendiquer par ses origines) sans oublier d'avoir  en même temps des traductions commentées et catéchétiques indispensables pour la mission dans un maximum de langues locales, ne serait-ce pas préférable ? Ne pourrait-on dissocier la célébration de la catéchèse. La transmission de la foi chrétienne a-t-elle pu se passer de traductions, d'interprétations, de commentaires ? Certes non. Les Juifs avaient d'ailleurs donné l'exemple. 

Mais la célébration n'a-t-elle pas toujours été un moment en un lieu où l'injonction première pour le peuple - de la communauté du moins - était d'oublier tout souci du monde". N'y a t-il pas dans la liturgie, même si l'une ne va pas sans l'autre, deux parties  : l'une plus catéchétique et l'autre plus orante durant laquelle il n'y a plus lieu de com-prendre avec sa raison raisonnante qui a besoin de saisir tous les mots mais plutôt d'accueillir avec l'humilité des "pauvres en esprit" en "lâchant prise"... Qui pourrait prétendre tout avoir entendu et compris des paroles chantées en langue locale de la psalmodie ecclésiale ?

Mais il y une autre partie de la réalité que l'on ne peut ignorer sans une forme d'hypocrisie. 

On nous dit  : dans l'Orthodoxie il n' y a pas de langue sacrée ! Ce qui la distinguerait entre autres de l'Église latine traditionnelle... Vraiment ?

- Pourtant les peuples slavophones ont un mal fou à se séparer du slavon d'église et à le remplacer par le russe contemporain par exemple. Même si on n'invoque pas le caractère  sacré de la langue, il n'empêche, quand il s'agit de chanter et de psalmodier en église, nombreux - et peut-être même majoritaires - sont ceux qui préfèrent conserver le slavon sous toutes sortes de prétextes : adéquation parfaite des mélodies et de la langue, sens des mots immuables, importance de la tradition  etc.
Il n'en va pas  d'ailleurs très différemment dans les paroisses francophones de tradition slave, bien souvent le chantre fait la grimace en apparté quand il doit chanter en français des mélodies slavonnes. Même s'il y met toute sa bonne volonté, il ne pourra dans le privé s'empêcher de préférer le chant slavon en slavon.


- Pourtant les peuples hellénophones conservent la même langue liturgique depuis des siècles et même si les clercs ont chez eux des dictionnaires de grec ancien et des textes en version bilingue  (grec ancien et grec moderne) ils persistent à célébrer en grec liturgique antique. Et toute l'hymnologie et qui plus est les Saintes Écritures ne sont ni lues ni psalmodiées en grec contemporain. 
Il n'est pas inutile de dire non plus que les versions françaises du chant byzantin, même si elles font l'objet de dévoués musiciens, clercs et laïcs, qui travaillent avec courage et détermination, n'en demeurent pas très faciles à composer et à interpréter, ce qui est assez logique puisque ces mélodies ont été composées pour le grec à l'origine. Même si les roumains, les serbes et les arabes entre autres peuples ont réussi - après tout de même des siècles d'acculturation et de pratique liturgique - à marier efficacement musique byzantine et langue locale.




De même ont été conservés l'araméen (le syriaque) le copte et l'hébreu liturgique ... Il n'en est pas autrement dans d'autres religions d'ailleurs : tous les bouddhismes, l’hindouisme etc. ont perpétué pour leurs offices une langue figée dans le temps qui est devenue une langue "sacrée" par la suite.

Prétendre donc que les défenseurs du latin seraient les seuls à se crisper sur le passé ce serait ignorance ou pur mensonge. Il semble bien plutôt que ce soit un besoin humain vital de conserver et d'utiliser "une langue sacrée qui ne sert pas pour tous les jours, une langue faite pour ne s’adresser qu’à Dieu".

Alors pourquoi ne pas avoir conservé le latin comme langue liturgique ( non seulement pour la liturgie latine (des versions bilingues français-latin existaient depuis bien longtemps) mais également pour célébrer  les offices orthodoxes "byzantins" (à côté des traductions diverses en français) avec la musique sacrée locale adaptée qui était pratiquée naguère encore (sans doute jusqu'au XIX°s dans une expression encore assez proche de la tradition authentique dans les campagnes du moins) c'est à dire toutes les formes du chant liturgique traditionnel "occidental" dit "grégorien" qui, même sous ses formes contemporaines coupées de la tradition, demeure encore indubitablement porteur du sacré? D'ailleurs il existe une version latine assez ancienne de la Divine Liturgie de St Jean Chrysostome. Il n'est pas dit que cela n'eût pas produit  des fruits de mission en quantité et de qualité appréciables, particulièrement dans le contexte du siècle passé. Peut-être même eut-il mieux valu que les traditionalistes catholiques, fidèles à leur culture  latine, redeviennent  orthodoxes quitte à être "schismatiques" aux yeux de Rome, de toute façon...




Qui pourrait donc nier que l'unité soit favorisée par la quasi unicité - du moins dans une région donnée du globe - d'une forme liturgique et d'une langue liturgique uniques. L'exemple africain est tout de même frappant et incontournable, et donne tout  de même matière à réfléchir sérieusement à la question. Dieu seul  sait...

Bien sûr on me citera les liturgies occidentales "revival" - pardonnez l'irrévérence -  "des Gaules", bénéventines, ancienne romaine, mozarabes, de Sarum etc....  mais d'abord ce que j'en vois sur des photos ou vidéos me laissent une fâcheuse impression de "sobriété" confinant à la pauvreté, plutôt "cheap" enfin pour le dire un peu brutalement, comparé aux liturgies catholiques romaines "tradi" - qui ont tout de même de la tenue - avec de rares extraits de chant qui ne correspondent que rarement à ce qu'on voit... mais ce n'est peut-être pas le plus grave, car ce que l'on entend parfois dans les paroisses orthodoxes estampillées n'est pas toujours bien folichon musicalement s'entend... 
Cependant ce qui est le plus problématique, à mon humble avis, c'est la confusion qui peut s'en suivre d'une pratique liturgique par trop différente par rapport à ce qui est devenu quasiment l'universal orthodoxe c'est à dire les offices byzantins - tellement riches et reconnus par n'importe quel orthodoxe de n’importe quel pays, ce qui est au moins aussi important,  si ce n'est plus, que la langue liturgique. Cette confusion que l'on pourrait faire entre liturgies catholique et orthodoxe, on semble d'ailleurs vouloir y remédier mais en ajoutant encore davantage de confusion quand on voit des vêtements liturgiques byzantins de clercs au milieu des "occidentaux" : alors là on risque de plonger le fidèle orthodoxe de passage, venu par hasard dans une  telle paroisse, dans une plus grande confusion encore. En effet il pourrait aussi bien se demander s'il n'a pas affaire là à des uniates. Pas très édifiant ni très efficace au point de vue missionnaire si je peux me permettre.



Dieu seul  sait...  mais j'ai moi-même bien peur de savoir également quelque chose : cet article ne rencontrera que peu d'adhésion c'est clair, car du côté traditionnel catholique, mon message ne peut être que celui d'un schismatique appelé à rentrer au bercail romain, du côté catholique moderniste cela ne suscitera qu'étonnement, indignation anti-traditionnaliste et rejet de ce qui est considéré comme irrémédiablement passé,  du côté orthodoxe 'classique' cela ne provoquera que rejet car le latin est trop marqué catholique,  du côté orthodoxe partisan d'une certaine fidélité aux sources  - bien que moderniste en réalitécela sera considéré comme non conforme à la nécessité de la langue locale comprise par tous pour l’Évangélisation et l'édification de l’Église locale (bof ! on a vu plus haut ce qu'il en était en réalité et en outre beaucoup de ceux qui ont cette opinion n'attendent que le rapprochement avant l'union avec Rome qu'ils considèrent déjà depuis longtemps comme la véritable  Église locale), quant à tous ceux qui ont choisi par commodité (?), par facilité (?) par souci de leur descendance (?)  le chant franco-russe, également partisans de l’Église locale-locale (mais pas tout à fait pourtant puisque favorisant la tradition "russe") ils n'ont pas fait tout ce travail d'adaptation des mélodies slavonnes au français depuis des années pour rien ! alors....
C'était juste pour faire une suggestion quoi ! Un geste gratuit c'est permis non ?
Dieu reconnaître les siens sans doute...
Maxime le minime



Aucun commentaire: