D’un point de vue musical c’est une belle réalisation. Une adaptation d’une mélodie byzantine de l’hymne des Chérubins du mode 8 (plagal ton4) arrangée pour chœur polyphonique a capella magnifiquement chantée par d’excellents chanteurs. L’arrangement et l’interprétation sonnent tellement ‘occidental’ qu’on peine à reconnaître la mélodie byzantine ; elle est parfaitement « occidentalisée ». On pourrait penser que cela a été composé entièrement à l’ouest. Il y a d’évidence un choix esthétique, un parti pris d’occidentalisation techniquement réussi.
D’un point de vue de la tradition du chant orthodoxe byzantin cela peut être vu évidemment comme une altération, une dénaturation. Traditionnellement en effet les pays qui ont choisi de perpétuer le chant byzantin l’ont adapté à la langue locale certes mais en ont conservé les principes et les techniques de composition, les caractéristiques et les ornements traditionnels, chant monodique avec isson, voire la transcription en neumes byzantins qui permettent de les reconnaître instantanément. Ici ce n’est pas du tout le cas.
Alors d’aucuns pourront penser que, vu le degré d’occidentalisation de cette mélodie byzantine originelle, non seulement on perd la tradition et la spécificité esthétique orthodoxe mais qu’en outre donc on finira par perdre, si ce n’est déjà fait, l’orthodoxie théologique voire qu’on est en route directe pour l’hétérodoxie.
Pourtant, cela impose une réflexion un peu plus approfondie sur une problématique urgente, malgré les apparences offertes à un regard extérieur, qui se pose dans toute l’Orthodoxie occidentale, qu’elle provienne de la descendance émigrée des peuples orthodoxes d’origine ( grecs, albanais, roumains , bulgares, serbes, russes, arabes etc.) qui est désormais largement et profondément « occidentalisée » culturellement et ceci particulièrement en milieu anglophone – ou qu’elle soit d’origine directement « occidentale ».
Des efforts admirables et un travail incroyable – vu l’immensité de la tâche – se font ici et là, mais de façon isolée trop souvent et peu concertée – chaque école défendant farouchement son point de vue sur la tradition sans toujours se préoccuper des besoins urgents de l’Eglise – et avec un minimum de partage, et ceci particulièrement en Europe… car aux USA la mentalité américaine est de perdre le moins de temps possible, d’être efficace avant tout pour répondre aux besoins, et résoudre ce qui doit rester problématique le moins de temps possible ; on travaille beaucoup, on expérimente et on met en application avec les moyens techniques, pédagogiques, communicationnels et financiers adéquats pour un développement et une propagation rapides. Chez nous en Europe c’est plus laborieux comme d’habitude… Il n’empêche, les besoins des paroisses et même des monastères sont difficilement pourvus et chacun et chacune se débrouille dans son coin comme il peut en puisant à diverses sources, en assurant correctement l’essentiel et en « bricolant » en attendant mieux pour le reste. Pourtant le développement de l’Orthodoxie est très important en Europe de l’ouest proportionnellement à la population et au territoire.
Alors en Amérique, ce n’est pas forcément « Hollywood » dans les églises comme le disait J.F. Colosimo, il ne faut pas caricaturer hâtivement, car des choix « audacieux » mais sans doute légitimes du point de vue de l’Evangélisation et de la fourniture du nécessaire , non seulement pour la mission mais pour le nécessaire quotidien des communautés orthodoxes existant déjà, sont faits et mis en application avec la meilleure qualité possible, ce qui n’est pas critiquable.
Ce choix esthétique donc est défendable. Après tout, ce genre de polyphonie sonne plutôt plus antique que tout un chant religieux russe polyphonique, très beau musicalement, de facture indéniablement occidentale (i.e italo-allemande essentiellement) malgré l’origine russe et donc pas spécialement de tradition esthétique orthodoxe antique.
Parallèlement existe tout un travail réussi d’adaptation du chant byzantin à la langue anglaise qui respecte davantage la tradition, que ce soit en Amérique, en Angleterre comme au Moyen Orient !
En Amérique tout semble exister : le chant byzantin hellénophone traditionnel – avec ses différentes écoles –, le chant byzantin traditionnel anglophone, le chant byzantin anglophone harmonisé à plusieurs voix dans le style russe, et même le chant byzantin anglophone harmonisé à plusieurs voix avec orgue qui le fait ressembler comme deux gouttes d’eau à du chant catholique, le chant russe traditionnel adapté à l’anglais, le chant antique znamenny adapté à l’anglais et les réalisations sont toutes de grande qualité technique ! Certaines églises comme l’Antiochienne en Amérique mélange même les différents styles…
Alors que faut-il choisir ? Peut-être que tout ce qui a été fait correspond aux différents besoins et que chacun de ses besoins a sa légitimité ?
On ne peut s’empêcher d’avoir à l’esprit qu’il y a eu des chants liturgiques chrétiens en Europe de l’Ouest – comme en Russie d’ailleurs, avec les chants zanmenny – qui ont sans doute été les meilleures acculturations régionales du chant grec d’origine, comme le chant syriaque antique a sans doute été à l’origine du chant byzantin. De nombreuses reconstitutions ont été enregistrées depuis quelques décennies qui ont fait connaître tous ces trésors antiques.
Tout un travail de recherche, de formation et de réalisation selon diverses optiques d’école a été fait pour en retrouver la tradition interrompue mais la pratique liturgique qui s’en est suivie est demeurée à la marge du chant catholique contemporain malgré les encouragements du Pape actuel.
Il faut aussi savoir qu’une tradition liturgique sonnant « occidental », celle de Sarum, a été mieux conservée que ce qu’on appelait naguère le « grégorien » et a même été reçue comme orthodoxe par l’ERHF et même si elle est encore plus minoritaire que le « Chant antique des Gaules « (comme l’a appelé le musicologue Iegor Reznikoff) en milieu orthodoxe qu’elle ne l’est en milieu catholique.
Bien difficile de conclure. Tout existe donc. Et chaque mode d’expression trouve ses amateurs, ses adeptes et ses pratiquants. Doit-on souhaiter une plus grande harmonisation mais doit-on aller jusqu’à l’uniformisation ? – Certainement non. En réalité, dans tous les cas l’hymnologie orthodoxe est suffisamment complexe pour qu’en fin de compte, chaque paroisse et monastère fasse son choix en fonction des possibilités et des compétences musicales de ses membres pour assurer le mieux possible, selon le contexte, le déroulement plus ou moins intégral des offices et ce n’est pas de moindre importance.
Maxime le minime
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