samedi 26 juin 2010

TEXTE ANGLAIS ET CHANT BYZANTIN : QUELQUES PROBLÈMES ET QUESTIONS

D’aucuns pourraient être surpris qu’après des siècles d'usage liturgique dans l’Église Orthodoxe, il existe aujourd'hui une certaine controverse parmi les chantres sur ce qu’est exactement le chant byzantin.
En général, tous s'accordent sur la compréhension classique du terme: un système de tons, ou modes. Des motifs mélodiques bien définis adaptés à la forme de la musique à l’accentuation et au rythme de la langue grecque, de sorte que les accents et les syllabes façonnent les lignes mélodiques. Par exemple, il y a des motifs de fin de phrase mélodique prescrits qui se fondent sur l'accent final. D'autres qualités importantes du chant byzantin traditionnelles impliquent une division des tons et une notation musicale uniques.
Ce sont des faits irréfutables de l'histoire.


Alors, pourquoi la controverse? Parce que la définition formelle du chant byzantin se fonde sur deux facteurs : le grec comme langue unique de l'Église, et les musiciens immergés et formés à l’"yphos" (style) oriental. Comme l'Église en Amérique évolue, cependant, nous ne pouvons pas tenir ces préalables pour acquis. En effet, dans la plupart de nos paroisses, où l'anglais est utilisé parallèlement ou à la place de la langue grecque, et où les musiciens proviennent principalement d’un contexte occidental, ils ont depuis longtemps cessé de s'appliquer. Il n’y a, à ce jour, aucun accord définitif sur la meilleure façon de concilier le chant byzantin, dans toute sa glorieuse complexité, avec ce nouveau monde de musique anglaise et occidentale. Compte tenu de la complexité des facteurs impliqués, de nombreuses personnes se demandent non pas comment un texte en langue anglaise doit être adapté au chant byzantin, mais tout simplement si cela doit être fait ! Pour certains, la réponse est un «Non! »


 Leurs principaux arguments sont les suivants:

1. Certains chantres et érudits byzantins affirment catégoriquement que le chant byzantin ne doit pas être utilisé avec la langue anglaise parce que le "son" de la musique n'est pas compatible avec cette langue; en d'autres termes, il y a un écart culturel, traditionnel, et historique qui ne peut et ne doit pas être comblé. Lorsque nous tentons de combiner les deux, le son du texte en langue anglaise chanté, d'une manière très étrangère à l'anglais détruit en quelque sorte le mariage parfait entre le texte et la musique.
Certains de ces partisans prétendent que la langue anglaise devrait développer son propre système de chant qui serait compatible avec le « son occidental » (par opposition au « style » de musique « oriental »). Les Russes ont réussi à le faire, et donc les autres nationalités doivent le faire.

2. Il existe un grand nombre de chantres byzantins qui ont la ferme conviction que, si les lignes mélodiques ne sont pas rendues dans les micro-intervalles du vrai chant byzantin, alors la musique qui en résulte n'est pas du chant byzantin, et ne devrait pas être mentionnée comme tel. Les micro-intervalles sont essentiels pour préserver le chant, et si nous perdons ou ignorons cet élément de définition du chant byzantin, nous détruisons une partie de sa nature-même — une partie qui doit être préservée.
3. La notation musicale occidentale ne peut pas exactement exprimer les nuances et la restitution de ce
chant, et ne devraient donc pas être utilisée si l'on veut appeler cette musique chant byzantin.

Ces trois «sujets chauds» sont très discutés et contestés parmi les puristes byzantins, qui cherchent à préserver et à perpétuer l'ancien et saint système intact. En ignorant ces éléments considérés comme partie intégrante de la nature même du chant byzantin, ils maintiennent que nous le détruisons. Dans quelle mesure le «changement» constitue une «destruction» peut être débattu, mais nous pouvons au moins reconnaître qu’une traduction en anglais d'un hymne byzantin, transcrit avec une notation occidentale, et donnée à interprétée à Pavarotti, ou aux Trois ténors, ou au Mormon Tabernacle Choir, ne donnerait probablement pas un son très byzantin.


Néanmoins, à partir d'un point de vue pratique, les faits aux États-Unis d'aujourd'hui sont les suivants:

1. L'anglais est utilisé, dans certains cas, plus souvent que le grec.
2. La majorité des chorales et de nombreux chanteurs chantant en anglais ne savent pas lire la notation byzantine, pas plus qu'ils n'ont le temps ni l'envie d'apprendre à le faire.
3. Les chanteurs aux États-Unis ont été élevés dans des traditions musicales de l'Ouest ; non seulement il est difficile pour eux d'entendre (et encore moins d'apprendre et de reproduire) les micro-intervalles et l’yphos caractéristiques du système byzantin, mais très franchement en outre, ils n'en ont souvent pas envie.
Ce que beaucoup, sinon la plupart, des paroisses grec-orthodoxes aux États-Unis pratiquent, est, au mieux, une modification du
chant byzantin, et ce n'est pas de nature à donner lieu ni à un retour réactionnaire aux anciennes méthodes", ni à un système totalement nouveau sans aucun lien avec le Byzantin. Je me rends compte que les gréco-Américains (ou Grecs américain!) sont au milieu d'un processus peut-être non intentionnel de développement de notre style de chant propre, basée sur les lignes mélodiques de la théorie byzantine, mais en utilisant des échelles tempérées, la notation occidentale, et un yphos voire un son «occidentaux». Dans l'intervalle, étant donné que nos chœurs formés à l'occidentale et les chanteurs vont chanter en Anglais en utilisant des échelles tempérées, ceux d'entre nous qui travaillent avec le chant byzantin dans sa forme traditionnelle nous disposons de nos propres problèmes à régler.
Je ne saurais mieux articuler ces problèmes en les rapportant à ma propre expérience, aider les les prêtres de paroisse, les chefs de chœur et chantres répondre aux besoin de Psaltes formés et de faire de bonnes traductions convenant aux hymnes orthodoxes. Ma principale préoccupation est de tenter d'enseigner le chant à des chantres sans formation. Malheureusement, je ne dispose pas du luxe de le faire dans un cadre structuré d'enseignement.
Au lieu de cela, je me trouve dans l'entreprise moins qu’idéale de fournir une "solution miracle". Je reçois des appels un vendredi soir, car un membre de la chorale doit chanter lors d'un enterrement ou un mariage ou un baptême le Lundi, et a besoin de musique. Je reçois des appels de personnes qui se trouvent avoir à chanter l’Orthros le dimanche matin, et ils ne connaissent même pas l’office. Si ce n'était le livre du Père Kezios, ils seraient complètement perdus. Je reçois des appels de chefs de chœur qui vont avoir à chanter des offices autres que la Divine Liturgie, et ils n'ont pas de matériel.



Dans l'ensemble, voilà les scénarios les plus courants des problèmes que je rencontre:

1. Beaucoup d'églises n'ont pas de chanteurs formés, et souvent s’appuient sur un membre de la chorale pour effectuer cette
fonction. Dans le cas où il n'y a pas de membre de la chorale ou un membre de la paroisse prêts à intervenir, la presbytera devient souvent le chantre.
2. Le résultat est que beaucoup d'hommes et de femmes se retrouvent dans la position du chantre sans expérience, sans formation ni ressources. Certains d'entre eux ne savent pas lire le grec. Certains ne sont pas familiers avec la notation musicale occidentale, et encore moins avec la byzantine.
3. Même en supposant qu'ils sachent lire la musique, beaucoup de ces chantres ont une connaissance limitée de la répartition des hymnes dans le chant, que ce soit en notation occidentale ou byzantine.
4. Sans une connaissance adéquate du chant byzantin - l'ochtoechos, les modes, les nuances, et les formes mélodiques, etc. – les chantres sans bonne musique et - ou bien - sans la possibilité de la chanter correctement vont improviser des mélodies basées sur ce qui «sonne juste» pour eux. Souvent la communauté a si peu de contact avec le chant authentique qu'ils ne peuvent pas faire la moindre différence!
5. Certains de ces chanteurs peuvent être des convertis, et leur manque de connaissance relative des mélodies types, ou des hymnes communes de l'Eglise, exacerbe le problème.
6. Beaucoup de chanteurs qui n'ont pas la formation nécessaire sont appelés (ou s’en chargent eux-mêmes) à adapter les textes anglais à la psaltique, sans une conception claire de la façon dont le texte donne forme aux lignes mélodiques. Soit ils improvisent alors des modifications à la mélodie pour l'adapter au nouveau texte, ou font rentrer de force le texte dans la mélodie grecque autant qu’ils peuvent. Quoi qu'il en soit, la parfaite unité du texte et de la musique qui est présente dans l'hymne d'origine est endommagée.
7. La majeure partie de l’éducation formelle consiste à apprendre le chant des hymnes majeurs en grec, en distinguant les modes (et à savoir quand les utiliser), et à apprendre comment lire la notation byzantine. Mais ceci est différent de disposer d’une connaissance complète de la théorie byzantine en ce qui concerne l’adéquation de la forme du texte et de la musique. Ainsi, de nombreux prêtres sont très compétents lorsqu'il s'agit des hymnes dans l'original grec, mais n'ont pas la compétence pour adapter avec précision et correctement un texte en anglais.



Il résulte concrètement de ces situations que :

1. Nous trouvons au pupitre de l’église de nombreuses personnes ayant une connaissance très limitée du chant byzantin sans formation ni ressources.
2. Leur matériau musical a tendance à provenir de n’importe quelle musique que le chœur utilise, ou qui leur a été donnée, ou qu’ils ont pu trouver.
3. Les gens ont également tendance à télécharger ou à emprunter tout ce qu'ils peuvent trouver qui est disponible sur Internet ou d'autres sources, et souvent sans être capables de distinguer entre la bonne musique et les bonnes traductions et les mauvaises.
4. Lorsque, depuis une période de temps suffisamment longue, on entend des choses mal chantées ou des textes non corrects, notre oreille commence à s’habituer aux erreurs, et peut finir par les trouver corrects - tout comme, au fil du temps, une mauvaise grammaire devient acceptable voire éventuellement la norme.
5. Quand on chante une hymne en anglais sur une ligne mélodique grecque existante, nous trouvons souvent les phrases et l'ordre des mots inversés, ce qui entraîne parfois de placer l’Hadès dans l’aigu et le Ciel dans le grave. D'une part il peut être difficile pour ceux qui parlent couramment le grec de trouver les mots et les phrases déplacées dans les phrases des traductions en anglais. D'autre part, parfois l'ordre des mots en anglais et la sémantique sont indispensables pour donner un sens en termes de grammaire et de syntaxe.



À la lumière de cela, certains de mes plus grands défis sont:

1. Aider les nouveaux chantres à corriger tout ce qui a été mal mis en anglais, concernant les accents et les syllabes en contradiction effectivement avec la forme de la ligne mélodique d'une manière qui contredit les principes byzantins et offense l’oreilles. Cela advient chez les personnes n'ayant aucune idée de comment une mélodie est structurée autour d'un texte, en particulier lorsque la personne qui chante ne parle pas grec et a seulement une interface en anglais pour apprendre. En outre, il a pour effet de diminuer la beauté élégante et harmonieuse de notre culte divin.

2. Persuader les gens qu'il est plus facile d'apprendre une nouvelle ligne mélodique qui correspond effectivement au texte, plutôt que d'essayer d'utiliser une ligne mélodique existante qui se traduit généralement par un bon nombre de mélismes injustifiés et étranges ou des terminaisons de phrase maladroites. C’est particulièrement important lorsque nous étudions des hymnes hirmologiques, qui sont fondées sur le principe d'une seule note de musique par syllabe.
3. Elaborer ou trouver des traductions en anglais, qui s’ajustent avec précision sur les prosomia de sorte que les nouveaux chantres puissent apprendre ces hymnes importantes.
4.Apprendre à des personnes la théorie byzantine de base de sorte que, s'il le faut, ils puissent improviser une ligne mélodique fondée sur les formules de chaque mode. J'essaie de leur apprendre au moins des motifs mélodiques de base, ainsi que les notes de début et de fin des phrases et des hymnes. À tout le moins, ils doivent être conscients du fait que ces formules existent.


Les différences fondamentales entre la langue anglaise et la langue grecque rendent le processus de l’adéquation du texte à la musique encore plus difficile. Il existe plusieurs problèmes qui entravent le rendu d’un texte grec en anglais, puis l’adaptation de cette traduction en anglais à la psaltique.

1. L'anglais est une langue simple, relativement parlante. Le vocabulaire anglais d’origine germanique et anglo-saxonne est très différent des mots anglais d’origine latine et grecque.
Certaines de nos traductions sonnent comme des manuels de technologie plutôt que comme de la poésie si notre choix du vocabulaire anglais devient trop technique.
2. Il existe un écart entre la longueur du texte grec et la longueur du texte traduit en anglais. Kyrie eleison en est un bon exemple: sept syllabes. L’équivalent anglais, « Lord have mercy » n’en compte que quatre. En plus de contenir plusieurs syllabes, le texte a souvent peu de mots: Encore, une fois, prenez le Kyrie eleison exemple et Lord have mercy. Nous entendons souvent que «les Grecs ont un mot pour cela." Le corollaire est que l'anglais a une phrase pour la même chose. "
3. L’anglais commun, dans l'ensemble, a moins de syllabes que les mots d’origine latine et grecque. Cela signifie que nous pouvons avoir des paragraphes entiers composés de mots en anglais d'une seule syllabe
... un phénomène très rare, sinon impossible en grec.
Par conséquent, le psalmiste a souvent à choisir les mots sur lesquels mettre l'accent, plutôt que les syllabes, comme c'est le cas du grec. Un de mes exemples favoris est Aινείτε τον κύριον, qui en grec se compose de sept syllabes. Mais l'équivalent anglais, « Praise the Lord » en a seulement trois.
4. Beaucoup de traductions en anglais sont difficiles à la fois dans le phrasé et dans le choix des mots, ce qui rend difficile la compréhension du texte en anglais (si ce n’est en le rendant carrément ridicule). Par exemple, j'ai trouvé une traduction du Credo, qui se lit, et il reviendra pour juger les vivants et les morts; son règne n'aura pas de fin.
Quand on lit à haute voix, on dirait que nous disons, «... et les morts, dont le royaume n'aura pas de fin. Dans une traduction anglaise du 4e Doxastikon j'ai trouvé une traduction qui se lit : «Pourquoi le cherchez-vous qui vit parmi les morts? » Il serait beaucoup plus plus clair si elle était formulée: «Pourquoi cherchez-vous parmi les morts Celui qui vit? »



J'espère vivement que nous tous - membres du clergé, des chœurs et psaltes, à partir du niveau de la paroisse jusqu’à l’Archevêché - pourront travailler ensemble pour réparer tout dommage ou toute diminution faits à nos riches traditions liturgiques et aider à produire des matériaux et la formation qui sont si nécessaires pour garantir un avenir dynamique de l'Orthodoxie en Amérique. J'ai essayé ici de décrire certains des défis et des situations que j'ai personnellement auxquels j’ai eu à faire face dans ma vie au jour le jour. Je ne propose pas d'offrir toutes les solutions, mais je pense que le sujet est d'un intérêt vital pour nous tous, et je vous soumets mes conclusions afin qu’elles soient examinées :


1. Il y a une différence entre être en mesure de lire la notation byzantine et être en mesure de composer dans le chant byzantin, tout comme il y a une différence entre être en mesure de jouer du piano et être capable de composer comme Beethoven.
2. Nous devons commencer par un bon texte anglais parlé par des locuteurs de langue maternelle anglaise éduqués dans la littérature anglaise, qui ont aussi le don d’une pratique de la langue élégante. Ils doivent être assistés par des théologiens orthodoxes qui sont bien informés des textes grecs liturgiques. Les textes anglais classiques doivent être exempts de mauvaise grammaire, d’antécédents et déclinaisons incorrects, de mots étranges, et de phrases maladroites. Ils doivent être précis, mais linguistiquement poétiques et clairement compréhensibles et, dans certains cas, comme pour les prosomia ou d'autres mélodies bien connues, composés selon la métrique.
3. Nous avons besoin d’hymnographes qui sont formés dans la théorie et la composition byzantines, créer de la musique pour nos hymnes en anglais. Ils ont besoin de comprendre les formules byzantines qui permettent à un texte dans n'importe quelle langue de former une ligne mélodique complémentaire.
4. Un style occidental de chant byzantin est en plein développement, que nous en soyons ou non conscients, et que nous voulions ou non que cela se produise. Même si nous n'allons pas utiliser des micro-intervalles, la
notation byzantine, et l’yphos byzantin, nous pouvons encore suivre les formules mélodiques pour chaque mode. Nous pouvons lui donner un nouveau nom, mais il sera profondément ancré dans cette tradition de musique sacrée que les Pères enseignent qu’il a été délivré par les anges.
5. Enfin, nous devons développer la formation des chanteurs dans ce pays afin qu'ils puissent apprendre non seulement les offices et les hymnes, mais la théologie liturgique profonde qui les sous-tend et leur donne un sens. En outre, les chefs de chœur, comme des leaders musicaux dans nos paroisses américaines, devraient également avoir une formation en musique byzantine. Nous avons actuellement des directeurs de chœur avec plus de cinquante ans de service dans un chœur orthodoxe grec, qui ne peut toujours pas différencier un mode d'un autre.
La portée de cet enseignement pose de sérieux problèmes - la plupart de nos chefs de chœur n'ont pas le temps ni les ressources à consacrer à quatre ans à Sainte-Croix, ou un séjour de longue durée sur le mont Athos.
Cependant, nos nouveaux chantres, souvent des convertis et souvent des femmes, ont besoin de plus d'outils que leur volonté de faire le travail, et nos chants et offices méritent plus que des «remèdes miracles». Nous
ne pouvons pas nous appuyer sur des chantres formés venant de la Grèce pour servir toutes les paroisses américaines. Nous avons besoin de trouver des moyens pratiques pour la formation et le développement de chantres, qui s'acquitte du vital et noble
service de l'Église, et qui ont toujours constitué une partie intégrante de sa vie. Cela doit commencer aujourd'hui.
Par Takis Nancy

(Version française de http://www.newbyz.org/conferencecomments.pdf par Maxime Le minime)

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